Deux lions et plein d’anecdotes
O rnements d’un Palais de justice disparu, Tutur et Totor se reposent aujourd’hui, chacun sur son piédestal de pierre, à l’ombre des arbres du boulevard Defontaine. Il n’en a pas toujours été ainsi !
Une naissance compliquée
L’ancien Palais de justice se situait en plein cœur de la ville, dans le carré des biens nommées rues du Palais, de la Justice, Adolphe Biarent et le Boulevard Jules Audent. Décidé en 1874, cet antre de Thémis dessiné et mis en œuvre par l’architecte français Ballu, doit offrir à Charleroi un endroit moderne pour rendre justice. Dès la présentation des plans, tout le monde est conquis. Débutée en 1875, la construction subira, pour de multiples raisons, des retards et il faut attendre 1882 pour que commencent les déménagements vers les nouvelles installations.
C’est aussi la volonté de Ballu de placer 2 lions de part et d’autres de l’entrée principale du Boulevard Audent. En 1878 – 79, les esprits s’échauffent ! Le positionnement des lions questionnent (face à face, dos à dos…) et le surcoût de passer de lions en pierre à une version en fonte n’est guère apprécié. L’artiste ne fait pas non plus l’unanimité.
En recherche de financement, la Ville se tourne vers le ministre de l’Intérieur, qui consent à payer une bonne part de la note mais exige que ce soit Antoine Félix Bouré. Si ce dernier a une solide réputation comme sculpteur animalier (avec notamment le lion du barrage de la Gileppe), c’est le procédé qui gêne. Opposant au projet, l’Echevin Alfred Defontaine s’énerve au Conseil communal du 03 mars 1879 : “Ce ne sera donc ni un embellissement ni une idée que l’on traduira par cette sculpture, mais on aura simplement permis à M. Bouré d’épuiser son stock de lions” ; le Bourgmestre Audent réplique alors que ce sera un objet artistique, une œuvre d’art signée par un grand artiste. Tout est dit !
Des langues bien pendues
Après 15 années d’observation des moeurs de Charleroi, Tutur et Totor finissent par rugir dans les colonnes du Journal de Charleroi Marcellus (pseudo du directeur Jules Bufquin des Essarts) s’amuse sur le dos des politiques locaux au travers de courts articles ; et qui d’ailleurs baptise les lions ! Grinçant, moqueur, l’esprit reste bon enfant ! Ainsi, quand Léopold Fagnart, député et conseiller communal est mis en cause dans diverses affaires, ce dernier écrit une lettre à l’attention du citoyen Tutur avant… d’aller lui serrer la patte ! D’autres journaux reprendront l’idée, comme la Gazette de Charleroi ou, pendant le premier conflit mondial, la Région de Charleroi.
En 1898, la Gazette de Charleroi rapporte le vol des 2 lions par des socialistes qui jugeaient qu’ ils devenaient trop compromettants à force de critiquer les édiles… Tout ça pour un 1er avril !
Et puis, au sortir de la guerre, ils se sont tus. Peut-être parce qu’il se raconte que des balles allemandes ont griffés le dos des lions en 1914…
Une seconde vie
Dès 1946, des voix s’élèvent pour remplacer le palais de justice, vétuste. Dessiné par Jacques Depelsenaire, il sera construit entre 1959 et 1963 et est encore en activité aujourd’hui.
Alors que l ’ancien palais est voué à démolition, les Carolos s’émeuvent du sort réservé aux lions, tout comme les autorités communales qui cherchent un lieu pouvant accueillir Tutur et Totor. Un moment pressenti au palais des Expositions, ils déménagent le long du Boulevard Defontaine ; lui qui était un farouche opposant des sculptures !
Depuis, ils scrutent une ville en pleine mutation, attendant probablement la bonne occasion pour faire entendre à nouveau leurs voix !